Eryblis

Combien de fauchages faudra t-il encore, avant que ne prenne fin la moisson de l'innocence ? Combien de coups de matraque, de nuages de poison et de meurtres casqués demande encore le maintien de l'ordre ? La Paix elle-même s'est prostituée ; toute son essence vendue aux agents du carnage planétaire, aux légions du chaos spécialistes de la plus salissante bavure. Leur salive a la couleur du sang, la texture du pétrole, et l'odeur des charniers qu'on emplit jour à jour. Il est l'ère de trancher dans le vif du mensonge. Il est l'art d'afficher de toutes parts leurs vices les plus poi

La fièvre jaune est dans les cœurs Et bout comme une rage ardente. Sur le pavé, France brûlante Enfin tu craches tes rancœurs. Toi, l'ami des peuples vainqueurs, Écoute, écoute comme on chante ! La fièvre jaune est dans les cœurs Et bout comme une rage ardente. Nos idéaux sont nos liqueurs : Enivrés, nous quittons l'attente, Et dans notre ample déferlante Seront fauchés nos extorqueurs ; La fièvre jaune est dans les cœurs.

Le monde apparaît faible dans son aveugle respect du schéma qu'il s'impose à lui-même. C'est amusant, lorsqu'on y pense : qui fixe les règles ? L'Homme. Et qui s'oblige ridiculement à les suivre par peur de ne pas correspondre au carcan ? L'Homme, encore, toujours, immuablement. Je me fous bien de tout cela. Je veux l'accès au Grand, la clef de la porte du Sublime, le plongeoir infini surplombant l'Ineffable. Ma muse idéale me mènera aussi loin ; si loin qu'à travers elle je toucherai la fleur pure et délicate de l'Éternité, qui malgré les éons ne

Les lectures me plongent dans un état d'autant plus trouble et fasciné que je n'en suis pas simplement le spectateur muet, le passager mutique dont l'esprit écouterait un récit brumeux sans l'étoffer de sa propre parole. Je suis l'élève des grandes plumes de ce monde ; je bois avidement, comme un nectar, cette littérature hantée, maudite, poisseuse des jours anciens et révolus, j'en fais ma substance, mon héritage invisible, la parole dédiée à mon âme par de glorieux fantômes dont la voix d'outre-tombe donne à ma main cette impulsion dessinant des mots

Qu'il est doux d'errer, quand le jour s'effeuille, Qu'entre les ramées s'est blessé l'azur ; Quand la tombe parle à ceux qu'elle endeuille Et leur dit, d'un air admirable et sûr : « Certes, l'on dort bien dans mon lit de terre, Sous mon drap de marbre et de fines fleurs » ; Quand le vent secoue, de sa main légère Le tapis de lys arrosé de pleurs ; Qu'il est doux, alors, avant les ténèbres De flâner dans l'air des jours anciens, De fouler sans bruit ces allées funèbres Où se déploient les cœurs aériens ! Le silence

Dis, sur quel océan as-tu lancée ta course, Que je rejoigne enfin ton navire esseulé ? Dis, pour quelle Orion, dis, pour quelle Grande Ourse As-tu laissé mon ciel si sombre et dépeuplé ? Deux années m'ont trouvé pleurant le noir mystère De ce vent qui gonfla ta voile, et t'emporta. Depuis, je ne suis plus, sur cette triste terre, Capable de songer à ce qui m'importa. L’âme toute bercée par la rumeur des vagues Qui te portent encor sur leurs dos argentés, A travers des vents froids sifflant comme des dagues Je cherche les échos des airs que tu chantais. P

Les génies sont des fous qui se noient dans la fange De leur propre cerveau, le laissant en pâture Aux larves affamées de la littérature, Qui traînent leurs masses étranges Au fond de ses caveaux malsains. Ils se laissent bien vivre, dans la pourriture Qui fige leurs pensées ainsi que des sculptures, Et dans l'oisiveté qui les porte en son sein. Qu'ils sont lâches et laids, ces griots inutiles, Ces troubadours, ces chantres de la rêverie ! Qu'ils viennent visiter les tristes fonderies Où les membres sont si fragiles D'avoir porté tant de fardeaux ! Qu'ils viennent contempler les yeu

N'est-ce pas l'oeil ardent du Soleil que je contemple chaque jour en ouvrant ma fenêtre, quand la rosée glisse sur son verre ? Ne serait-ce pas plutôt le souvenir glacé de la lune, fixé dans quelque goutte de pluie, qui tente de revenir hanter la surface tranquille du monde à présent réveillé ? Non ; c'est, chaque jour, un nouveau pendu qui m'observe du haut de son gibet. La tour médiévale étend ses créneaux sur le ciel, comme une mâchoire de pierre qui se découpe sur une aube bleuie par la mélancolie. La brise est froide, et la bruine bave su

Souviens-toi que ta vie n'est qu'un jour qu'on t'enlève Et ta gloire, un soleil qui bientôt dormira. Souviens-toi de ta vie comme un jour qui s'achève En offrant à la nuit son plus bel apparat, Cette éternelle nuit dont la grâce s'élève Pour couvrir ton orgueil dans son paisible drap. Souviens-toi que ton nom, oublié dans un livre, Bientôt, ne sera plus qu'ombre de ta splendeur, Spectre étranger au flot qui, pour l'heure, t'enivre En portant sur son dos ton humaine grandeur ; Et souviens-toi toujours que l'or qui te fait vivre, Sur la berge opposée n'offrira plus d'odeur. No

Il semblerait, finalement, que la beauté de ce monde existe ; c'est elle que j'ai vu, en tout cas, dans les yeux vitreux, plus emplis de sang que de larmes, qui le voyaient pour la dernière fois. Victoria n'était pas de ces sublimes jeunes femmes portées plus loin par une noirceur poétique ; non, elle était de celles qui s'engouffrent complaisamment dans le puits de prétention que cette même noirceur peut offrir aux esprits faibles et faux, ceux qui ne tirent du mot « ténèbres » que la substance qui leur permettra d'avoir l'impression de se distinguer des autres.